On prend tous des chemins différents. Parfois, on pense avoir trouvé le sien et finalement quelque chose change nos plans. Quelque chose auquel on n'avait pas pensé, qu'on n'avait pas prévu. Moi c'était quelqu'un. Avant de rencontré Kataline, ou du moins avant d'être en couple avec la jolie brunette, j'avais toujours été sûr de ce que je voulais faire. J'avais fourni un travail démentiel pour monter un dossier solide, et déposer une candidature qui tenait la route. J'avais rêvé de cette école et de ce programme de médecine. Aujourd'hui, maintenant que j'avais été retenu, je jetais l'éponge et cédais ma place. Stupide ? Peut-être. En tout cas, ma sœur avait l'air de le penser, et ma copine avait douté pendant un moment. Moi-même, je m'interrogeais encore. Seulement, cela sonnait presque comme une évidence pour moi. Pourquoi partir et m'éloigner de mes proches, quand je pouvais faire un compromis et trouver un équivalent à ce fameux rêve ? Après tout, Paris ou ailleurs, une faculté faisait de vous un pion dans le système universitaire, qu'importe l'endroit. C'était peut-être bête, mais mes envies, mes besoins, avaient évolué avec le temps. Je ne voulais plus me projeter dans un avenir alors que je n'étais même pas certain de l'atteindre un jour, de le toucher du bout des doigts. Il me suffisait d'observer Line du coin de l’œil, lorsqu'elle était plongée dans un bouquin, l'air concentré, son petit nez froncé ; pour savoir que je désirais profiter de ces moments de simplicité en sa compagnie. Je n'avais pas besoin de grand chose, seulement de sa douceur. Elle semblait être la seule réellement capable de m'apaiser. M'en éloigner serait prendre le risque de me voir perdre pieds, si ce n'est même carrément la tête !

En traversant le centre, je savais où j'allais. C'était bien là un exploit pour moi. J'allais retrouvé un ami, avec lequel la confiance régnait. Je l'écoutais se confier, je pouvais en faire de même lorsque j'en ressentais le besoin. On se comprenait, et on laissait de côté les jugements de valeurs et autres commentaires. Bien sûr, on échangeait nos points de vue, afin de tirer profit de nos discussions... Mais jamais, ô grand jamais, on critiquait gratuitement les actes de l'autre. On tentait de se comprendre, et parfois ça n'était pas une mince affaire. Je n'avais jamais tellement parlé de mes doutes concernant mes études. Tout ça parce que je faisais tout mon possible pour ne pas le percevoir comme un problème. Je me persuadais du contraire, me répétant que de toute façon ma décision était prise et que rien ne pouvait me faire changer d'avis. Je m'étais collé des œillères, et j'avançais tout droit ! Comme présentement, alors que ma main poussait la lourde porte du bar/tabac. Quelques regards se posèrent moi, je saluais la clientèle d'un signe de main, et m'avançais jusqu'au comptoir.

Je me faisais discret, préférant disparaître dans la foule, m'effacer et observer. J'étais bien incapable de battre ma petite-amie, qui parvenait très souvent à se faire oublier. Commandant une bière, je jetais un coup d’œil à l'écran de télévision, afin d'y lire l'heure dans l'angle en haut à droite. Roman n'allait pas tarder, j'allais pouvoir lui payer un coup ! A moins qu'on ne le fasse à ma place... Me faisant face, un habitué des lieux me détaillait de la tête aux pieds. Il devait avoir un verre de trop dans le nez, rien qu'à en voir sa démarche lorsqu'il se décida à me rejoindre près du bar. « Je t'ai déjà vu par ici petit, je me trompe ? » Son haleine aurait pu me coller 3 grammes dans le sang facilement si je n'avais pas tourné la tête pour récupérer mon verre. « Peut-être... J'viens acheter mes cigarettes ici. - Non, je ne m'en souviens pas... - Je ne vois pas alors... - C'était quand ? Lundi ? - Je ne suis pas venu lundi... - Si, c'était lundi ! - Je vous dis que... - C'était... LUNDI ! » Bordel, il foutait quoi ?! Romaaaan !

Quelle journée folle! Mes mains en tremblaient encore. Le matin même j'avais décidé d'aller peindre sur la plage et par je ne sais quel hasard j'étais tombé nez-à-nez avec mon ex petite amie, Eleanor. Elle était revenue en France à ma plus grande surprise. Et pas seule... Lors de nos retrouvailles elle m'avoua que j'étais père d'une petite fille de trois ans au doux prénom de Lily. Je me retrouvais perdu entre mes souvenirs et la réalité. Je rêvais de la serrer contre moi et de lui dire que oui, je serais là en tant que père... Or, ma vraie vie me faisait sortir de mes rêveries. J'étais marié et je devais m'assurer d'être un bon mari même si l'enthousiasme n'y était pas. J'étais rentré chez moi sans dire un mot. Ma femme n'était pas là, heureusement, elle m'aurait sans doute demander où est ce que j'avais trainé. Je ne pouvais pas rester entre quatre murs, je finirais fou et je ne souhaitais pas rencontrer ma femme quand elle rentrerait de je ne sais où. Ainsi, j'avais contacté Loan pour sortir et penser à autre chose, peut-être même qu'il parviendrait à m'aider, il avait toujours été d'excellents conseils. Cette confiance installée entre nous était réciproque, on s'entraidait naturellement. Je ne fus pas surpris quand il accepta. J'avais enlevé mes vêtements couverts de sable afin de prendre une douche rapide et d'enfiler une chemise blanche, un jean et des converses. Je descendais tranquillement les escaliers quand j'entendis la porte d'entrée s'ouvrir. Par un élan de survie, et surtout car je ne voulais pas passer ma soirée à l'entendre me supplier de lui faire un bébé, je pris la poudre d'escampette par la porte de la cuisine. Ouf. Je souffla avant d'attendre deux minutes et de partir en direction du lieu où on avait décider de se voir avec Loan: au bar. Simple et efficace.

On y aimait bien se rendre pour se boire une bière et parler tranquillement. J'avais décidé de faire le chemin à pied pour prendre un peu l'air et faire le vide dans ma tête. J'avais beau me forcer j'entendais toujours le rire cristallin de ma fille. Ma fille. Je ne me faisais pas à cette idée. Inconsciemment je me demandais ce qu'elles faisaient toutes les deux, puis, secoua la tête. Arrête de penser crétin. Pensais-je avant de continuer ma balade dans les rues en direction du bar, je serais un peu en retard tant pis, il n'aurait qu'à commencer à boire. Il faisait bon et je commençais enfin à respirer sereinement. Enfin, au bout de quinze minutes, je passa la porte du bar et je cherchais du regard mon ami. Ah! Je constata rapidement qu'il était mal barré s'il continuait d'être assis ici et que le mec ne lui laissais aucun répit. Je m'approcha tranquillement avant de donner une tape dans le dos de Loan: « Tu t'es encore trompé d'endroit t'es pas croyable! M'enfin! » Vu son regard il se demanda surement si je ne m'étais pas pris un poteau en pleine figure et que j'avais perdu la tête. Non, non, je le sortais juste de cette affaire pourrie. Je regardais à présent la personne qui était en face de lui. Il puait l'alcool, bon dieu. « Désolé mon ami présent souffre d'une amnésie partielle. » J'avais poussé légèrement Loan pour qu'il aille à un autre coin du bar. La soirée s'annonçait comme la journée: inhabituelle. A l'aide d'un regard je fis comprendre à un barman que ce type devait être foutu dehors. Je n'insultais jamais, j'avais trop bon cœur. Je me dirigeais à présent vers mon ami. « Toujours à te foutre dans des pétrins quand je ne suis pas là. Bref, je t'offre un verre pour m'excuser de mon retard? » Fis-je en appelant un barman pour venir nous servir.