Je suis allongé sur ce lit, mon regard fixant le velux et j'observe les étoiles. Je reste muet. Je pense et je rêve. Comme d'habitude. Je l'ai toujours fait, car vivre dans un rêve l'espace de quelques instants me permet de mettre ma vie entre parenthèses. Je l'oublie, je ne m'en préoccupe plus, et je me laisse aller. Non, je ne pourrais jamais prétendre avoir une vie très difficile, au point d'en souffrir. J'ai eu une enfance assez sympa, ne manquant de rien, au sein d'une famille aimante. Quand on creuse un peu plus loin, on pourrait même dire que je n'ai vraiment pas eu à me plaindre. Aujourd'hui, je suis encore entouré. Seulement, c'est juste... différent. Le temps s'est écoulé, et comme bien souvent : il y a eu une ombre au tableau. Elle s'est étendue, sans jamais s'arrêter, m'étouffant doucement. Je pourrais raconter un tas de choses me concernant. Partager mes souvenirs, rire de bon cœur en farfouillant dans ma mémoire... Mais est-ce que cela en vaut la peine ? Qu'importe, je le fais quand même !
FLASHBACK«
Tu te débrouilles comme un chef ! -
M'man, je n'ai plus 4 ans... -
Le bon travail mérite des compliments ! » J'adorais sentir le regard amusé et affectueux de ma mère posé sur moi. J'aimais la savoir satisfaite et heureuse. Je jouais du violon pour elle, ayant toujours plus été attiré par la batterie ou encore la guitare. Elle m'avait mis un violon dans les mains à l'âge de 7 ans, et depuis je n'avais eu de cesse de vouloir la rendre fière et lui faire plaisir avec quelques mélodies. Je travaillais la musique essentiellement pour elle. «
Tu devrais reprendre au dernier changement et... » Elle se stoppa, prenant appuis sur le bureau derrière elle. Ça y est, elle fatiguait. J'ôtais le violon de mon épaule, prêt à lui venir en aide, mais elle m'arrêta dans mon élan. «
Ça va, ça va... » Je n'y croyais pas. C'était de pire en pire, et l'inquiétude nous gagnait tous à la maison. Elle nous mentait pour nous préserver. Mais la maladie était bel et bien là, et ne trompait personne. «
Reprend... -
Non, je vais t'aider, et tu vas aller t'allonger. -
Reprend Loan, s'il te plaît ! » J'étais aussi têtu qu'elle, cependant je ne voulais pas l'affronter et l'amener à se fatiguer inutilement. L'amenant jusqu'au fauteuil, je finis par céder et ne pu lui refuser un morceau. Dès lors que les notes résonnèrent dans la pièce, les traits de son visage fin s'apaisèrent. C'était son morceau préféré ; celui qui plus tard deviendra le miens.
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«
En fait, tu veux réparer des cœurs... Grosso-modo... C'est ça ? -
Oui, si on veut... C'est ça. » Marie me fixait avec des yeux presque émerveillés. Elle semblait admirer mon ambition. Oui, je voulais devenir chirurgien en cardiologie et intégrer un des plus grands centres de formation dans le domaine médical, avec à la clé un projet innovant, pour ne pas dire révolutionnaire. Je voulais en faire partie, contribuer à cette avancée et profiter de cet enseignement supérieur. Nettement au-dessus des facultés classiques. J'en mourrais d'envie, me voyant déjà avec un scalpel à la main et un masque sur le visage. «
C'est ton rêve... Comme maman et la musique. -
Comme maman et la musique... -
Promet-moi de ne pas laisser passer ta chance alors. » Je ne pu que rire légèrement face à sa demande. Elle se montrait des plus sérieuses, refusant catégoriquement que je fasse les mêmes erreurs que notre chère maman. Je hochais la tête, venant la prendre dans mes bras. «
Ok, je te le promets... » J'étais loin de me douter que j'allais la rompre.
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«
Viens par là... » Elle me faisait signe de la rejoindre. Comment lui résister ? Cela allait faire déjà deux mois et demi que j'étais avec Kataline, et tout se passait bien entre nous. Faible -pour ne pas dire amoureux, je m'y refusais encore- je m'approchais avec un sourire en coin. J'étais bien avec elle, et le simple fait de prendre notre temps me rassurait dans cette relation. La précipitation avait été exclue et j'avais l'impression que plus le temps passait, et plus cela promettait d'être une histoire saine, sans vagues ni bavures. J'eus droit à un baiser, délicat... Tout chez elle semblait l'être. Elle était sans doutes la douceur incarnée, et je me trouvais chanceux. La belle avait besoin d'attention, et en accordait en retour sans même qu'on en vienne à la réclamer. Cela se faisait naturellement, comme le cas présent. Elle me faisait signe, ou bien venait se blottir tout contre moi. Là encore, elle cherchait à me garder près d'elle, m'invitant à m'allonger, alors qu'elle était assise sur le divan. Posant ma tête sur ses genoux, elle passa sa main dans mes cheveux et tourna la page de son bouquin, comme pour reprendre sa lecture. «
A quoi tu penses ? -
Hein ? De quoi ? -
T'as très bien compris... A quoi tu penses ? -
Je lis... -
Non, là tu évites ma question. » Elle me répondit par un sourire, levant les yeux au ciel. «
Je pense que t'es pas croyable ! … Mais c'est comme ça je t'aime. » Elle ponctua sa phrase par un baiser, alors que j'étais quelque peu surpris par sa déclaration si spontanée. Le premier "Je t'aime" s'était échappé d'entre ses lèvres, sans même qu'elle ne s'en rende compte. Je n'ajoutais rien, cherchant sa main pour y déposer un baiser alors qu'elle tournait à nouveau la tête. Je ne savais pas vraiment ce qui s'y passait, mais j'aimais cet esprit secret, j'en étais sûr.
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«
Arrête de me regarder comme ça... -
Comment ? -
Ces yeux pleins de reproches. C'est bon, j'ai compris que tu n'étais pas de mon avis et loin de me soutenir. -
Tu te trompes. Je te soutiens, pour faire ce qui te plaît et intégrer cette école ! -
Laisse tomber Marie... » Je laissais échapper un soupir, fatigué d'avoir sans arrêt cette conversation. Je décevais ma sœur et ça me tuait. Pourtant, ça n'était pas ça qui me faisait revenir sur ma décision. Certes j'avais un rêve, et Marie ne manquait pas de me le rappeler. Mais il y avait aussi Kataline, et je ne pouvais pas la laisser ici. Ça aurait été trop difficile. Tout comme je ne pouvais pas lui forcer la main pour me suivre à Paris. La capitale faisait peur et elle était bien loin de ces citadines. Elle se plaisait ici, et je la comprenais. Ma sœur, elle, me poussait à me séparer de ma copine. A croire qu'elle percevait les sentiments comme bien trop éphémères et futiles pour faire quelques sacrifices. Marie croisait les bras sur sa poitrine, visiblement contrariée par mon attitude. Que pouvais-je y faire ? J'étais incapable d'imaginer ma vie à Paris. Pas maintenant. Que deviendrait mon rêve si je n'étais plus disposé à le vivre à 100% ? Que serait ma vie si j'en devenais malheureux comme les pierres ? Je ne préférais pas l'envisager, gardant alors mon rêve dans un coin de ma tête. Marie s'y ferait bien, et tout cet épisode appartiendra au passé, pas vrai ? Je l'espère.
FIN FLASH BACKJe suis allongé sur mon lit, et je réfléchis. Marie a peut-être raison... Non ? Je suis paumé, partagé entre mes sentiments et mes rêves. Lesquels disparaitront en premier ? Lesquels feront mon bonheur ? Passant ma main sur mon visage, je finis par fermer les yeux. Je soupire, j'ouvre à nouveau les yeux et je me redresse. Ce n'est qu'une école après tout, je reprendrais peut-être mes études et ferait médecine dans une fac lambda... Mon cœur compte davantage.