Marie-Ywanoë Léane Telenn. Telenn veut dire harpe en breton. Et .. non, je ne sais pas jouer de la harpe. Et je m'en soucie peu. La guitare et le piano me suffisent amplement. Je ne suis pas spécialement douée, je ne chante pas, je ne suis pas à l'aise quand je chante. Enfin, ce n'est pas que je ne sois pas à l'aise, mais je n'y arrive pas. Du moins devant des gens. Pourtant, on m'a encouragée, de multiples fois mais bon, ça n'a pas marché. La musique me vient de ma mère, elle jouait du violon plus jeune. Elle travaillait au conservatoire de Paris mais son amour pour le pauvre garagiste qu'était mon père l'a poussée à revenir à Carnac. Oui, elle est née à Carnac, mon père aussi. Il n'a jamais quitté la ville à cause la mort précoce de ses parents, mes grands-parents quoi. Il devait s'occuper du garage, bel héritage hein. Ma mère a plaqué son travail de violoniste à Paris pour gérer la compta et tout dans le garage de ses beaux-parents et vivre son amour pleinement avec mon père. Belle histoire, non ? Non .. Pas vraiment. Si j'avais des rêves, des envies, des besoins, tels que ceux de ma mère, je partirais les vivre, tout simplement. Je partirais profiter de ma réussite pour accomplir le rêve ultime. Je sais que ça lui manque, je sais qu'elle regrette. Quand je les vois se disputer à cause de la plus petite erreur, je vois que rien ne va plus. Mais ils ne divorcerons pas, ils disent qu'ils s'aiment, mais ils se mentent, à eux-mêmes d'abord et puis à nous, leurs enfants. Nous c'est Loan et moi. Loan est aîné, de deux ans. On est très proche. Enfin, je crois. Il n'a pas eu envie de reprendre l'affaire familial avec moi. Il rêve de partir lui aussi. Et je vois l'histoire de maman se répéter. Je ne peux rien faire que l'encourager à abandonner cette bourge qui lui sert de petite amie, je la hais, elle me hait. Il est prêt à tout pour elle, y compris abandonner sa carrière. Il est doué dans son domaine. Toutes ces histoires me désolent profondément. Mais je me dois de garder le sourire, de me dire que j'ai la chance d'avoir trouvé ce qui me plaît. Au départ, les gens sont un peu sceptiques à l'idée de lâcher leur voiture à une jeune fille. Mais j'ai grandit dans un moteur. Je connais chaque pièce, chaque chose, je sais détecter une panne presque aussi bien que mon père. Toutes mes journées, je les passe au garage à réparer des voitures de touristes ou à finioler la voiture de mes rêves. J'aime la perfection, et actuellement, je roule en mini cooper. Cadeau magnifique que j'ai d'abord refusé. Nous ne sommes pas très très riches et dieu sait si ces voitures valent chères. Mais j'ai été forcée d'accepter, et cette petite citadine est un bonne voiture. C'est bien de parler de tout ça. Mais vous vouliez en savoir plus sur mon histoire non ? Je suis née à Carnac, le jour de la saint valentin en 1990, j'ai fêté mes vingt-et-un ans cette année. Après trois ans au lycée, j'ai eu mon bac, puis je suis devenue garagiste. Je pouvais choisir de faire de grandes études, la littérature. Voilà, ce que j'aurais fait. Mais l'appel de l'automobile a été plus fort.

Mes yeux se ferment seuls, j'ai besoin de dormir. J'aimerais, mais je ne peux pas. Je dois resté là, à veiller sur elle. A veiller à sa santé, à sa vie. Je dois la protéger, c'est une obligation. Pourquoi faut-il que cette connerie nous tombe dessus ? Pourquoi faut-il que ce soit à ce moment là que la maladie la rattrape. Bon sang, le collège. Je n'ai pas envie de devenir adulte maintenant, j'ai besoin de vivre ma vie, j'ai besoin d'être pure et innocente encore quelques temps. Je n'ai pas besoin qu'elle parte, elle ne doit pas partir. Je ne l'accepterais pas, je ne veux pas l'accepter. Les bras croisés sur son lit au niveau de ses hanches, la tête enfouit dedans, je résiste au sommeil malgré ses frémissements incessants et ses mouvements brusques. Je la sens bouger une ultime fois, sa respiration s'accélère puis retrouve un rythme normale, je sens quelque chose frôler ma main puis la saisir pour la serrer finalement. Je relève la tête pour la redécouvrir. Elle est d'un pâle cadavérique, ses cernes bien noires, ses joues creusées, ses lèvres habituellement magnifiques sont gercées et plutôt pâles elles aussi. La voir ainsi me monte les larmes aux yeux. Je ne peux empêcher les larmes de couler face à ce tableau. « Maman .. » Je murmure entre mes sanglots forcés à être silencieux. Elle a beau serré ma main de toutes ces forces, ce n'est qu'une légère pression que je ressens. Elle est à bout. Elle lâche ma main, souffle et détourne la tête avant de refermer les yeux. De nouveau, son corps se met à trembler. J'enfouis mon visage entre mes bras et soupire. Vais-je être obligée de devenir la femme de la maison ? Vais-je être obligée d'endosser des responsabilités qui me sont encore inconnues ? Une main me serre l'épaule affectueusement, plus grande et avec plus de force. Je relève le nez et fixe ma mère sans jeter le moindre regard à mon père. Jamais elle ne serait tombée malade s'il l'avait empêchée de se terrer à Carnac. D'une pression, il m'indique qu'il faut que je sorte, qu'il prend ma place. Je me lève et quitte la chambre. J'ai toujours détesté cette chambre. Elle est moche. Les murs sont rose saumon salit, les meubles sont très anciens. La déco s'accorde, mais le rendu fait vieillot. Je referme soigneusement la porte derrière moi puis me dirige d'un pas lent et traînant vers la porte d'en face : ma chambre. Le ' do not enter ' rebel de ma porte me fait sourire nerveusement. Laid, très laid. J'entre, ferme la porte, rentre dans mon lit et me recroqueville machinalement. Je ferme les yeux. Le sommeil. J'ai beaucoup sommeil mais il ne veut pas m'emporter. J'ai peur que ma mère m'abandonne, nous abandonne. J'ai peur qu'elle abandonne tout court, qu'elle laisse la maladie gagnée. Grand-mère dirait que ça ne lui ressemble pas, qu'elle a toujours été une battante et que c'est de la faute à mon père si elle se laisse mourir. Je n'en sais rien. Je m'en fiche. Maman ne doit pas mourir.

« Comment va ta mère Marie ? » Je relève la tête pour regarder le propriétaire de la voiture. Monsieur Levesque me connait depuis que je suis toute petite. J'ai apprit que lui et mon père était en conccurence autrefois pour avoir le coeur de ma mère. A présent, il est marié et il a une fille. Une fille de mon âge avec qui ça n'a jamais été le grand amour. Enfin. Il est un bon client, sa volvo ne cesse de tomber en panne, je lui conseille toujours de changer de voitures. Mais il souhaite garder cette voiture. Un jour, il aura un accident. Je souris, gentiment, comme je souris à tout le monde. C'est un sourire qui m'est propre. C'est un sourire toujours présent sur mon visage quand je suis à l'extérieur. C'est ainsi. Je ne peux pas montrer ce que l'on vit, il y a pire que moi. Il y a des gens qui souffrent plus et je ne dois pas rendre d'autres malheureux à cause de mes problèmes. Je dois sourire. « Bien, je suppose. » A vrai dire, ça fait quelques jours que je ne suis pas rentrée à la maison. J'ai peur de redécouvrir la mine cadavérique que ma mère avait eu la dernière fois qu'elle avait rechuté. Alors, en ce moment, je squatte l'appartement au dessus du garage. Je ne dors pas beaucoup. Je passe mon temps à travailler, que ce soit mon bac ou dans les voitures. Levesque me sourit, je retourne à son moteur. Je lui fais signe de démarrer la voiture après avoir trifouiller quelques pièces. La voiture démarre, je me redresse souriante. « Voilà. » « Je te dois combien ? » Je secoue la tête et fais signe qu'il ne me doit rien. Mais il insiste et me tend un billet de cinquante euros. Cinquante euros pour avoir bougé un câble. Nécessaire ? Non, pas du tout. Il sort et s'éloigne. Je cligne des yeux et m'installe sur une chaise pour me replonger dans mes révisions. Je n'arrive pas à me concentrer. Je soupire, relis trois fois la règle, les formules, rien ne veut rentrer. Je ferme les yeux. Juste un instant. J'ouvre doucement les yeux. Je crois que je me suis endormie, je crois que le sommeil m'a rattrapée, quelle heure est-il ? Je sursaute en découvrant qu'il me regarde fixement, abaisser à ma hauteur. « Tiens, j'aurais juré que tu bavais quand tu dormais. Ben, je me suis trompé. » Il rit à sa blague. Je hausse un sourcil et passe quelques doigts au coin de ma bouche. Il a raison, je ne bave pas. Tant mieux. « Bonjour Elli. » J'ai beau lui parler sèchement, mon sourire reprend sa place alors qu'il me prend dans ses bras. Eli, c'est un frère pour moi, il est très important. Nos parents ne s'entendent pas à merveille, mais il est le meilleur ami de Loan, et c'est un peu comme un deuxième grand frère pour moi. Sans complication. Je pose ma tête contre sa poitrine et souffle un grand coup. Elli a le pouvoir de me décontracter, de me faire oublier le monde. Il appuie son menton contre me haut de mon crâne. « Merci. » Il s'écarte et m'observe avec un air désespéré. « Je t'en prie Ywanoë, ne deviens pas sentimentale. Je n'ai pas besoin d'une fille de plus après mon charme. » Je lui balance un coup de poing dans l'épaule. Jamais.

« Marie ? » Je descends les marches trois par trois. Je l'ai vu hier, mais je m'en fiche. Il me manque déjà. Je l'aperçois, lui saute dans les bras. Mon grand frère. Je le serre contre moi. J'ai vraiment besoin de lui. J'ai vraiment besoin de le voir quotidiennement. « J'ai été pris ! » N'importe qui aurait demandé où et pour quoi. Mais je le connais, je sais qu'il a été pris dans l'école qu'il convoitait depuis quelques années déjà. Je sais qu'il va y aller et tout casser, parce qu'il est le meilleur. Je le lâche et sautille vivement, en lâchant quelques petits cris de joie. Je suis trop contente pour lui. Même s'il doit partir, même s'il va s'éloigner, je suis contente. Il pourra vivre ses rêves. « Et j'ai quelqu'un à te présenter. » Ouh, tout ça ne sent pas si bon que ça finalement. Pas que le fait qu'il ait une petite amie me dérange, loin de là, je ne veux que son bonheur. Mais une petite amie ici alors qu'il est censé partir, ça j'aime moins. Compte-il répéter l'histoire de maman ? Une fille entre en scène, elle est jolie, rousse avec son visage angélique. Je la connais, on a fréquenté le même lycée, j'étais en seconde et elle dans la classe de mon frère. Je ne les ai jamais vu traîner ensemble. Je le sens mal, très mal. « Voilà, Kataline. Kataline, ma soeur, Marie-Ywanoë. » Elle s'approche de moi. Je la salue d'un hochement de tête. Puis je me concentre sur mon frère, ignorant la fille. « Tu pars, hein ? » Et tout souriant, comme à son habitude. Je dois tenir ma manière de sourire tout le temps de lui. Il fait non de la tête. Je fronce les sourcils, mon sourire s'évanouit. Je le pousse légèrement et tourne les talons. Qu'il parte du garage. Il recommence. Il refait l'histoire à sa manière. Il sait que je méprise pas mal maman à cause de son abandon. J'aurais préféré qu'elle puisse vivre ses rêves plutôt que naître. Et je vois la chose se répéter sous mes yeux avec mon frère. J'ai pas envie qu'il regrette toute sa vie, j'ai pas envie qu'il tombe malade comme maman, j'ai pas envie d'avoir peur de perdre un proche. Je ferme les yeux, pour retenir les larmes qui montent. Je me revois, au collège, entrain de veiller sur maman, je me revois pleurer devant son visage blanc. Je me revois, en première, dans le même état. Malgré moi, je la vois heureuse avec mon père. Mais je l'imagine plus heureuse que ça, à Paris, entrain de vivre de sa passion : le violon. Je la revois, heureuse comme jamais alors qu'elle m'apprenait à jouer, rire car je n'y arrivais pas, abandonner et m'apprendre le piano, puis la guitare. Mais, elle malade. C'est ce que je vois en principal. Je l'entends murmurer quelque chose à sa rousse, je l'entends s'approcher de moi puis faire demi-tour pour partir. Je monte dans l'appartement au dessus. Et je pleure. Je pleure comme je le faisais quand maman était mourante, je pleure plus que jamais. « Bonjour, y a quelqu'un ? » La voix de Levesque me sort de mes larmes. Je les essuie du revers de la main, je fais de monb mieux pour camoufler mes yeux rouges et gonflés. Je descends lentement les marches, souriante. « Qu'est-ce que vous fait votre volvo aujourd'hui ? » Je n'ai pas à partager ma peine. Je la garde parce que les autres ont leurs soucis.

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